COVID 19 – Un chef d’entreprise raconte… #02 Gérald Evin

Manecho

COVID 19 – Un chef d’entreprise raconte : sa gestion de la crise, sa vision.

Interview de Gérald Evin, Président de Labeliance, société d’investissement dédiée aux grands enjeux agricoles et viticoles français
6 mai 2020

« La souveraineté alimentaire française a été remise au cœur de nos préoccupations »

Quelle est la mission de Labeliance ?

Créée en 2012, notre société d’investissement se consacre aux enjeux agricoles et viticoles français. Nous contribuons aux financements des exploitants qui doivent relever plusieurs défis : la relève générationnelle, l’accroissement de la taille des exploitations, la hausse des prix des terres, ainsi que la nécessaire modernisation et diversification des équipements. Nos opérations ont permis, à ce jour, d’apporter des levées de fonds pour un montant supérieur à 30 millions d’euros, pour accompagner des investissements globaux de plus de 50 millions d’euros. Nos solutions innovantes de financement ont été à l’origine de la création ou de la pérennisation de plus de 470 emplois en France.

Avez-vous perçu des signaux faibles annonçant que cette crise liée au Coronavirus était sérieuse ?

Honnêtement, non. Au travers des filières viticoles, notamment, nous avons vu la crise arriver en Asie, et pensions qu’elle resterait cantonnée à ce continent. Au salon Wine Paris, début février, nous avons pu constater que les exportateurs français y rencontraient des difficultés, mais jamais nous n’aurions imaginé que le phénomène prendrait une telle ampleur en Europe comme sur tout le continent américain.

Quelles ont été les premières mesures de Labeliance face au confinement ?

Nous avons aussitôt contacté les sociétés dans lesquelles nous avons des participations importantes, afin de prendre la mesure de leurs difficultés. Celles qui exportent beaucoup se sont retrouvées bloquées. Quant aux autres, qui commercialisent leurs marchandises dans notre pays, elles ont pris de plein fouet la fermeture de la branche restauration. Il reste actuellement, comme canal de commercialisation, la grande distribution française, ce qui est très limité. En interne, nous avons adapté notre mode de fonctionnement et respecté le confinement à la lettre, en mettant en place le télétravail. Nous sommes désormais très familiarisés avec les divers systèmes de visioconférences, et nous avons d’ailleurs réussi à débloquer un dossier complet avec une signature dématérialisée. Cette situation nous a amenés à innover dans le processus d’instruction de gestion des dossiers.

Quelles bonnes pratiques allez-vous conserver ?

Du fait de notre activité, nous sommes habituellement en déplacement entre 40 à 50 % de notre temps. Maintenant que nous avons appris à travailler à distance, nous allons réduire ces trajets. Grâce aux visioconférences, nous pouvons démultiplier notre présence sur le territoire. Bien entendu, il sera toujours indispensable de rencontrer les gens, de visiter les sites d’exploitation, d’observer les environnements : un exploitant et ses champs, un opérateur industriel viticole avec sa chaîne de conditionnement, logistique… La documentation, c’est bien. Voir avec ses yeux, c’est mieux.

Comment réagissent les filières agricoles et viticoles ?

La filière agricole n’a pas cessé sa production, et a plutôt réussi à poursuivre la commercialisation de ses produits. La crise a souligné que le consommateur français est demandeur de lien avec le producteur, il veut savoir ce qu’il mange. On a vu des gens aller spontanément travailler dans les fermes. Or, il faut savoir que certains producteurs sont obligés de recruter à l’étranger, voire hors Union Européenne, pour des cultures localisées en France… Pour les viticulteurs, la situation est très préoccupante. Leur problématique des stocks est inquiétante, qu’on ait affaire à un petit vigneron ou à un gros opérateur. L’invendu de ces mois de confinement va sans doute mettre plusieurs années à se résorber, a fortiori dans une région comme Bordeaux qui rencontrait déjà des difficultés liées, notamment, aux problématiques de droits de douane en Asie, ou aux nouvelles taxes aux États-Unis.

Quel fait marquant retenez-vous de cette crise ?

La notion de souveraineté alimentaire ! La société française dans sa globalité, du grand public aux classes dirigeantes, a pris conscience que nous n’étions pas totalement souverains en la matière. C’est un gros sujet de réflexion et de développement dans les mois à venir. L’alimentation a été remise au cœur de nos préoccupations. Cela va changer la donne pour les filières agro-alimentaires : investir dans ce secteur, avoir la reconnaissance des producteurs qui sont sur le front tous les jours et qui maintiennent les flux permettant aux Français de se nourrir, aura encore plus de sens. Le monde agricole va revêtir un caractère stratégique plus pertinent que par le passé. Parce qu’on a touché du doigt ce que veut dire la souveraineté alimentaire. Nous espérons que les pouvoirs publics se montreront plus pragmatiques sur le financement des entreprises de ces filières, à moyen et long terme, en se dotant des moyens législatifs et réglementaires ad hoc.

©Labeliance