STRATE Ecole de design

Manecho

STRATE Ecole de design

A l’école de la pensée magique chez Strate Ecole de design

Interview de Dominique SCIAMMA, Directeur de STRATE Ecole de design
10 novembre 2014

Echo Conseil

Dominique SCIAMMA
Directeur de STRATE

En 2014, Strate College s’est mué en STRATE Ecole de design. Et bien plus qu’un changement de nom, cette nouvelle identité révèle le positionnement unique d’une école « engagée » qui invite chaque jour ses élèves à devenir les acteurs responsables du monde qui les entoure. Un véritable manifeste porté par Dominique Sciamma, directeur de l’école depuis 2013, qui nous présente les fondements de sa pédagogie avec une énergie communicative. Rencontre avec celui qui déclare : « Le designer est le chef d’entreprise de demain » !

Quelle est votre définition du design aujourd’hui ?

Lorsque l’ingénieur est apparu au XIXe siècle avec la révolution industrielle, il était celui qui transformait le monde avec des machines. Le designer, héritier de l’artisan, a accompagné ce mouvement. Son rôle était de faire en sorte que les machines continuent à créer du sens, de la beauté, du confort social. Toutes les sciences de l’ergonomie, de l’Human Factor sont nées à ce moment-là.
Au XXe siècle, la question n’a plus été de faire ou de fabriquer, mais de vendre. On a d’ailleurs produit tellement d’objets qu’on ne sait plus quoi en faire si ce n’est de les vendre à ceux qui les fabriquent ! Le marketing a pris la main et on a instrumentalisé le désir des gens pour leur vendre toujours plus.
Seulement à la fin du XXe siècle, le modèle a cessé de fonctionné. On ne peut plus vendre indéfiniment, il n’y a plus assez de matière première, ni d’énergie pour produire et les gens commencent à se demander : « Mais pourquoi est-ce que j’achèterais encore un Iphone ? ». Au XXIe siècle, l’enjeu n’est plus de fabriquer ou de vendre, l’enjeu c’est de vivre bien.
Et qui est le mieux armé pour imaginer des produits pour que les gens vivent bien ? Le designer. Pourquoi ? Parce que l’objectif du designer est de servir la vie des gens avec des objets qui ont le sens du frugal, des objets malins, qui préservent la planète et notre avenir.
Mais ces réflexions sont nouvelles, elles changent le projet humain et le projet de l’entreprise. Dans ce nouveau cadre, le designer ne peut pas être positionné comme un élément de la chaine mais comme le dirigeant de la chaîne, car c’est lui qui détient la vision à 360° de l’objet qui va être produit. Le designer, c’est «l’Honnête homme » du XXIe siècle. Il est non pas dans la maîtrise de l’ensemble des savoirs mais dans l’agrégation de ces savoirs.
Voilà pourquoi le designer est le chef d’entreprise de demain !
Pour une entreprise, s’intéresser autant à ses actionnaires qu’à ses usagers, c’est nouveau mais ce n’est pas pour autant incompatible. On peut faire les deux. Apple en est la démonstration. Et aujourd’hui l’enjeu c’est de former des gens qui vont faire les deux.

Vous formez vos étudiants à cette transversalité, à la pluridisciplinarité ?

Oui, car il y aurait une sorte de vanité à dire que le designer a tout compris et qu’il va pouvoir tout faire seul.
Le designer sait qu’il ne sait pas tout, mais il sait aussi qu’il peut être le « liant » nécessaire à un projet d’équipe. Il connaît bien les techniques de représentation, les sciences humaines et sociales, le marketing. Il est capable de discuter avec tout le monde et de s’assurer qu’à la fin, le projet fonctionne correctement. Donc non seulement le designer est le chef d’entreprise de demain, mais il est aussi le chef de projet de demain.
Dans cet objectif, nous confrontons nos étudiants à cette pluridisciplinarité, soit en interne, soit dans le cadre de projets inter-écoles. C’est le cas du Programme CPi (Création d’un Produit Innovant) pour lequel nous travaillons chaque année avec l’ESSEC et Centrale. Avec ce programme, nos trois écoles ont la volonté de croiser ingénierie, management, business-model et design. Ainsi pendant 6 mois, 70 étudiants, 30 encadrants et 12 entreprises vont collaborer pour fournir une réponse globale à un brief initial.
Les entreprises sont parties prenantes, elles arrivent avec un budget et les délivrables leurs appartiennent. Les projets sont soutenus sous la forme de trade shows, de pitchs, de protos, de démonstrations. C’est complet. Il y a même des soutenances à huis clos pour raisons de confidentialité et des dépôts de brevet comme avec Saint-Gobain. Des projets terminent également sur le marché comme pour Macdonald qui développe aujourd’hui partout en Europe un système de rangement intelligent de la nourriture à emporter. Ce support en carton a été imaginé dans cadre du projet CPi.
Nous sommes aussi les porteurs officiels du Prix ARTSCIENCE Paris, un prix international qui récompense chaque année les réponses innovantes d’étudiants d’écoles de design et d’ingénieurs du monde entier sur une thématique donnée.
Et le challenge RELOAD MY PHARMACY que nous animons aux côtès de L’Oréal vient d’être lancé pour la troisième année consécutive.

Finalement, le designer pourrait occuper la fonction de Directeur de l’innovation dans l’entreprise ?

Oui, mais au détail prés de l’énorme biais culturel français. Car là où un Suédois, un Américain, un Anglo-saxon va être pragmatique, le Français, lui, va être abstrait. Si son problème est résolu sur le papier, il va considérer que son travail est terminé, que sa démonstration est faite. Ça va marcher puisque les équations disent que ça va marcher !
C’est le « bain intellectuel » dans lequel nous vivons aujourd’hui, c’est notre côtè bonapartiste, pyramidal.
Aujourd’hui, nous avançons tout doucement contre cette forme de pensée, mais nous sommes dans un champ d’inertie gigantesque ! C’est un combat politique !
A ce titre, le projet de « Designer en résidence » mené par Alain Cadix (en charge de la mission design au gouvernement) est une proposition intéressante. Mais nous partons de tellement loin !
Il faudrait créer un secrétariat d’Etat au design, comme cela existe pour le numérique, pour valoriser et structurer la filière française. Celle-ci est complètement fragmentée et chacun de ses acteurs pense être le plus légitime !
Le designer de demain, c’est l’ingénieur de demain. Mais c’est une question d’évangélisation en France. Il faut éclairer, expliquer, pas à pas… Le chemin est très long.

Comment se positionne votre école vis-à-vis des autres formations ?

Nous ne sommes pas des opérateurs de design, nous avons des ambitions plus fortes. Nous revendiquons un esprit d’entreprise car nous sommes nous mêmes des entrepreneurs. Nous sommes obligés de gagner de l’argent et paradoxalement, c’est un moteur extraordinaire !

Cet esprit d’entreprise rejaillit sur vos étudiants ?

Les élèves qui arrivent ici ont des profils différents. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de filles qu’avant. Elles représentent 50 % des promotions aujourd’hui, alors qu’elles n’étaient que 20 % il y a quinze ans.
Ensuite, ce sont des profils plutôt scientifiques, des bacs S qui viennent parce qu’on leur a dit : « Vous allez faire de la résolution de problèmes ». La vision du métier a changé, le monde aussi. Et une école, c’est comme un parti politique, on vient pour changer le monde ! Nous leur disons qu’ils ont une responsabilité. Pas seulement professionnelle mais au service d’un projet humain fort.
Ils ont des niveaux de maturité différents, mais ils ont en commun d’être curieux, d’avoir des antennes branchées partout, une capacité d’ouverture, d’empathie, une culture, ou l’envie d’en acquérir une. Des qualités humaines aussi et pas forcement des savoir-faire techniques. Il y a des gens qui dessinent très bien et qui ne seront jamais pris chez STRATE et des gens qui ne dessinent pas du tout et qui sont pris immédiatement !
Ils viennent de tous les horizons sociaux et pendant cinq ans, ils vont être exposés à un discours qui va les obliger à prendre position. Mais attention, ils prennent la position qu’ils veulent. Nous ne fabriquons pas des moules ! Certains sortiront avec une petite vue, d’autres voudront embrasser le monde !

Comment se déroule un cursus chez STRATE ?

La première année est essentiellement dédiée à l’acquisition des outils fondamentaux avec un principe intangible, on ne touche pas à l’informatique en première année, tout est fait à la main ! En deuxième année, ils font un stage ouvrier (chaîne de montage, caissier, déchargement…) pour toucher du doigt la réalité des gens qui n’ont pas la chance d’exercer un beau métier comme le leur, mais aussi pour commencer à imaginer des process qui peut-être amélioreront ceux qu’ils ont observés…
En troisème année a lieu le premier stage professionnel de 4 mois. En quatrième année ils partent à l’étranger et en dernière année, ils font un stage de 6 mois en entreprise. Au total, cela fait, selon les options, 10 à 18 mois de stage, plus les partenariats industriels, plus le fait que tous les intervenants de STRATE sont des professionnels qui enseignent et non pas des professeurs.
Cela les confronte bien aux réalités, même si après c’est toujours dehors qu’on apprend son métier, pas dedans…

Sont-ils nombreux à créer leur entreprise à l’issue du cursus ?

Pour l’instant non, mais la tendance est à l’augmentation car c’est compliqué aujourd’hui de trouver un boulot ! La création d’entreprise représente un véritable enjeu pour nous. Jusqu’à présent nos cours sur le sujet étaient timides et théoriques mais aujourd’hui on réfléchit à un syllabus pour les former au business model, au management.
Avec la révolution technologique, on peut gagner sa vie a partir de ses idées, mais il faut former les gens pour cela.
Les ingénieurs qui suivent notre formation post-diplôme acquièrent le savoir design et une double compétence qui en font certainement les étudiants les mieux armés pour créer leur entreprise. Nous proposons également à nos élèves d’acquérir le diplôme de Manager Designer en partenariat avec l’ESC Grenoble. Chaque année 10 étudiants intègrent ainsi le cursus de cette école supérieure de commerce et montent en compétence pour la gestion de projet et le marketing.
Aujourd’hui à la sortie de l’école, la majeure partie des étudiants rejoignent des services de design intégré en entreprise, comme chez Legrand, Carrefour, Seb, Décathlon, L’Oréal ou les agences de design industriel.

Comment STRATE aborde les enjeux du numérique ?

Les enjeux du numérique ne sont pas ceux du codage, de l’informatique, ni ceux du grand public, des applications. Nous considérons que l’enjeu principal réside dans l’expérience. Tout le reste sera caché. Notre rôle est d’apprendre aux étudiants à surprendre, à aller là où personne ne va. En 2007, quand nous avons créé le département Design d’interaction, nous pensions déjà que les enjeux du numérique allaient s’instancier dans le monde matériel, les espaces, les objets, les corps. On nous prenait pour des cinglés. Aujourd’hui, il y a un rayon objets connectés à la Fnac et tout le monde a l’impression de connaître le sujet. Mais c’est justement au moment où on tombe dans le «mainstream» que nous allons nous empresser de sauter ailleurs

Des enjeux magiques ?

On a développé à STRATE une nouvelle façon de penser : «la Pensée Magique». C’est du Wishful Thinking : on pense très fort à quelque chose, on le représente, ça va arriver. Aujourd’hui avec la science il n’y a plus de pensée magique. Comment faire pour la retrouver ?
Oubliez le marketing, la satisfaction d’un besoin, oubliez la technologie, on ne peut pas faire un objet en partant d’une technologie, oubliez la pensée rationnelle. Imaginez un objet sans vous mettre de limites. Ne cherchez plus au même endroit que vos concurrents. Cherchez loin, dites-vous que tout est pensable y compris l’impensable. Puis, quand l’idée est là, revenez progressivement au rationnel, réintégrez les contraintes, vous trouverez les solutions technologiques, marketing, scientifiques. Les grandes ambitions initiales seront peut-être un peu écornées mais vous vous serez autorisés plus de choses, vous aurez été plus créatifs. La Pensée Magique c’est une injonction à ne rien respecter, car le vrai champ des possibles, c’est celui de notre imagination !

Quel regard portez-vous sur les nouvelles générations d’étudiants ?

Les élèves qui arrivent à l’école sont plus scolaires aujourd’hui car ils sont infantilisés par l’accès direct à l’information. Tout est accessible à tout moment, ils n’ont pas d’effort à fournir pour trouver la réponse à leur question.
Mais si le monde est plus ouvert que jamais, il est aussi très instable. Ils vivent dans un environnement de crise économique, politique, avec un chômage endémique et ils ont peur. Mais cette peur n’est pas un moteur positif, elle les tétanise. Notre rôle est de les décoincer, de dévérouiller cette peur.

C’est une véritable école de la vie que vous proposez chez STRATE ?

Oui, c’est dans ce sens là que nous travaillons. Nous sommes dans une réflexion qui va au-delà du design. C’est une école de choix, on ne peut pas être un consommateur chez STRATE. Il y a beaucoup d’écoles que l’on consomme, ce n’est pas le projet que nous proposons à nos élèves. Nous les mettons devant leurs responsabilités.
STRATE c’est une école de vie, mais comme l’école devrait toujours l’être !

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