Manecho

Renault

FabLab et libération de la créativité en entreprise

Interview de Mickaël Desmoulins, créateur et responsable du Creative Lab Renault
10 avril 2015

Echo Conseil

Mickaël Desmoulins

A la direction de l’Innovation de l’ingénierie chez Renault, Mickaël Desmoulins est le créateur et le responsable du Creative Lab. Sa mission ? Libérer la créativité en dehors du poids de la hiérarchie et des process habituels. Tout en plaçant le « faire » au cœur de la conception. Egalement président de l’association Fab&Co qui vise à réunir les responsables des ateliers de fabrication numérique des industriels, il met son énergie au service du développement des collaborateurs.

Comment est née l’idée d’ouvrir un FabLab chez Renault ?

Il y a quelques années, l’entreprise qui souhaitait s’ouvrir sur l’extérieur a créé « la communauté de l’innovation Renault » pour discuter avec des industriels, consultants, enseignants, chercheurs, notamment, de sujets concernant l’énergie, les routes, l’administration locale… D’autres initiatives ont nourri cette envie afin de partager des méthodes de conception et des problématiques très concrètes pour monter des projets en commun. Les salariés qui représentent un potentiel énorme ont été également sollicités et Renault a créé « L’innovation room », un lieu d’exposition traitant de sujets commandés en interne ou venant de l’extérieur, comme l’innovation frugale, le biomimétisme, par exemple. Les projets étaient structurés, préparés pendant plusieurs mois par une équipe et ensuite, visibles sous forme de scénographie, dans une pièce, comme une boutique ouverte dans la rue, donnant lieu, aussi, à des conférences. Pour animer cette communauté intéressée par l’innovation, le design, les changements sociétaux, l’entreprise a également ouvert le « Renault Creative People Lab » qui se réunissait tous les jeudi après-midi. Au fil des mois, l’ensemble de ces échanges fructueux a permis de fédérer de plus en plus de gens. Quand j’ai rejoint l’équipe à cette époque, j’ai eu envie de créer un espace spécifique, un terrain neutre dans l’entreprise, de type « corporate garage » qui puisse faire collaborer d’une manière transversale, l’ensemble des personnes. L’idée étant qu’il n’y ait pas de hiérarchie, pas de process, avec une ouverture la plus grande possible et une liberté de ton permettant de poser des questions qu’on ne s’autorise pas forcément habituellement, que ce soit sur le business model, l’organisation. Le but était d’avoir un rapport plus direct au « faire », de remettre le « faire » dans la conception car dans un grand groupe comme le nôtre, il existe une réelle séparation entre les faiseurs et les penseurs ; les relations clients fournisseurs, au sein de l’entreprise, font que les gens perdent une partie de l’histoire.

A quoi ressemble ce FabLab ?

Nous avons démarré de manière modeste dans notre Techno Centre à Guyancourt. Nous avons récupéré un local servant de débarras, de soixante mètre carrés, afin de l’aménager pour en faire un espace dédié à la créativité pour aider les collaborateurs à se lâcher avec des outils de fabrication numérique, une imprimante 3 D, une découpeuse laser, entre autres. Nos premiers ateliers de l’innovation sur la stratégie du véhicule électrique, en 2012, ont rencontré un vif succès, révélant l’une de nos forces : le coaching de projets.

Qui propose les projets ?

Ils sont issus de toutes les directions (Innovation, communication, marketing…) et viennent également de l’extérieur. Petit à petit, nous nous sommes rencontrés avec d’autres industriels, sur d’autres lieux d’innovation initiant cette démarche-là. Avec Airbus, Seb, L’Air Liquide, par exemple, il y a des échanges, des discussions, sous forme de bonnes pratiques, de communautés d’intérêts. Nous sommes également allés sur des lieux plus en rupture, comme le Makerspace Ici Montreuil. Nous nous sommes rendu compte que de nombreuses personnes étaient porteuses d’idées, cherchaient des formations, voulaient d’autres moyens pour mettre au point des prototypes. Fin 2015, nous avons pu déménager dans un espace plus grand, de deux cent cinquante mètres carrés. Il accueille désormais quarante à cinquante visiteurs par jour en moyenne. La communauté s’auto-organise, se prend en charge. Une nouvelle forme de leadership apparaît. On n’est pas propriétaire des projets, on veut les accélérer, les accompagner.

Et aujourd’hui, le modèle du Lab est dupliqué au sein du Groupe…

Absolument. Dans le monde, Renault possède de nombreux sites d’ingénierie, dont certains ont adopté le concept, en France comme en Corée, Roumanie, Inde, Brésil. D’ici 2017, ils devraient tous en être dotés. De ce fait, nous avons écrit une charte qui pose la philosophie, le principe de fonctionnement, l’ouverture à tous. Notre but est de coordonner ce réseau qui a un potentiel intéressant, avec comme fer de lance, la transformation culturelle dans l’entreprise. Cela fonctionne car rien n’est imposé. Dans notre organisation, nous n’avons pas de chef. Aujourd’hui, on est ouvert à tout type de projet, pas forcément en lien avec Renault mais dont la finalité est pertinente culturellement : nous pouvons accompagner des gens qui lancent des start-up. C’est motivant. Deux cent cinquante projets ont été déposés depuis l’an passé. Ils viennent de France mais aussi de Roumanie. Nous en avons choisi neuf qu’on a accélérés pendant une semaine avec une agence design, qui nous a aidés dans l’accompagnement. On peut investir financièrement. On va au bout de la démarche. Nos FabLabs servent à explorer, apprendre, faire grandir les gens. Nous souhaiterions développer des relations avec les étudiants. Nous partageons déjà nos expériences avec des collaborateurs d’Orange, de BNP Paribas, Nokia ; ils utilisent nos machines et nous faisons la même chose chez eux. Nous assistons aux mêmes conférences, tout est partagé. C’est riche culturellement car chaque entreprise a ses spécificités. J’aimerais héberger des artistes sur un temps donné. Ils pourraient nous inspirer. Nous pourrions organiser des cursus de formation ouverts à l’extérieur. Nos Labs sont des outils conduisant vers une entreprise circulaire sortant du schéma pyramidale classique.

Comment voyez-vous l’avenir des Labs ?

Si nos Labs font leur travail de connexion, de croisement avec les écosystèmes locaux, les universités, des réseaux de start-up, on disposera d’un potentiel énorme pour réinventer l’entreprise. Avec un fonctionnement libéré du poids de la hiérarchie et des process habituels, plus spontané et dynamique que nos structures actuelles. Nos Labs seront animés de collaborateurs épanouis, pouvant réaliser plein de choses, plaçant le « faire » au cœur de la conception. L’idée globale est de redonner de l’agilité à l’entreprise !

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