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Groupe Happychic

Interview de Frédéric SELLIER, Responsable de l’innovation et de la conduite du changement pour le groupe Happychic – JULES, BRICE, BIZZBEE
2 mai 2015

Echo Conseil

Frédéric Sellier

Le secteur de la distribution française compte peu de responsables de l’innovation. Mais au sein du groupe Happychic (leader du prêt-à-porter homme en France avec les marques Jules, Brice et Bizzbee), Frédéric Sellier fait depuis quatre ans la démonstration que cette fonction s’inscrit dans la performance économique de l’entreprise comme dans la « vision » que celle-ci donne à ses collaborateurs. Pour transmettre le goût du challenge et permettre à chacun d’aller au bout de ses idées, de ses projets en devenant co-créateur de l’entreprise.

Comment votre parcours professionnel vous a conduit à cette fonction de directeur de l’innovation ?

Je travaille pour Happychic depuis longtemps. J’y ai vécu le commerce, le sens du client. L’excellence relationnelle, c’est ce qui me plaît, que ce soit avec un client, un manager, un dirigeant, un leader. Je me suis donc orienté vers l’accompagnement, la transmission ; j’ai pris la responsabilité de la formation, de la communication interne et du développement des compétences. Aller chercher le talent des autres est passionnant. On a tous des aptitudes pour quelque chose. Seulement, il faut les découvrir afin de se positionner au meilleur endroit. J’ai présenté un projet à la direction des ressources humaines en abordant l’innovation par l’innovation managériale.

Comment envisagez-vous votre rôle au sein de l’entreprise ?

J’essaie d’ouvrir les collaborateurs de l’entreprise à toutes les formes d’innovation. J’ai un rôle d’impulsion. Je m’appuie sur l’intelligence collective et les approches collaboratives pour faire naître les nouveaux sujets. Ma mission consiste à connecter les gens, leurs projets et à créer les conditions de l’expérimentation. La direction de l’innovation est une porte d’entrée pour tous les collaborateurs quels que soient les dossiers à condition que ces derniers entrent dans le cadre de la « vision générale » de l’entreprise. Pour faciliter la mise en place d’une dynamique-innovation au sein du groupe, une communauté a mis en lumière le concept de Nursery des Possibles.

Qu’est-ce que le concept de Nursery des Possibles ?

Il consiste à offrir à trois porteurs de projets du groupe, deux heures au cours desquelles ils vont discuter avec douze généreux donateurs de temps (des collaborateurs bénévoles). Issus de toutes les marques, de tous les services, ils partagent ensemble interrogations, réflexions et solutions. Ce concept qui a déjà permis à plusieurs projets internes de se réaliser, fait l’unanimité́ auprès de ceux qui l’ont testé, pour le gain de temps, l’intensité et la profondeur des réflexions apportées. L’idée était de créer des espaces de confiance donnant la possibilité à chacun de venir exprimer une idée, un projet dans un cadre bienveillant où le jugement extérieur est mis de côté. À l’issue des deux heures, les prochaines étapes sont fixées et le porteur de projet décide de continuer, d’avancer sa réflexion… ou pas ! Si la personne est suffisamment tenace, on la revoit. L’objectif de la Nursery des possibles consiste à valoriser l’expertise individuelle, clarifier les intentions des porteurs de projets, approfondir le sens de leurs convictions tout en instaurant un réflexe de questionnement.

Pour Happychic, quels sont les terrains d’expression possibles de l’innovation ?

Nous avons quatre terrains d’expression qui, pour nous, sont créateurs de valeur : l’innovation en terme de nouveau business, l’innovation technologique et technique, l’innovation sociétale et environnementale ainsi que l’innovation managériale et organisationnelle. C’est souvent lorsqu’un projet répond à ces quatre points en même temps que l’on est dans la performance.

Pouvez-vous nous présenter un projet, né de la Nursery des possibles, devenu une réalité business ?

La Gentle Factory est un bon exemple. C’est une marque qui propose une autre mode, responsable, issue du recyclage, des matières bio et d’une production locale « Made in France » le plus possible. Le porteur de projet était directrice de la qualité chez Happychic. Elle m’a dit « j’ai envie de développer une collection à partir de matériaux recyclés ». Elle incarnait complétement son projet. Elle a d’abord essayé de faire un pull recyclé ; la technique était bonne mais le produit n’était pas beau. Nous avons travaillé ensemble, structuré la démarche, trouvé des partenaires… Aujourd’hui Gentle Factory a doublé le chiffre d’affaires prévu. Autre exemples. Une équipe travaille actuellement sur un accessoire connecté qui, peut-être, sera commercialisé. Nous nous intéressons aussi aux outils additifs de manufacturing comme l’impression 3D…

Votre groupe est en croissance et l’innovation est soutenue par votre direction. Dans des périodes plus tendues économiquement, pensez-vous qu’il en serait de même ?

En période de crise, il faut plus que jamais amener les collaborateurs à entrevoir une transition vers de nouveaux champs de croissance, par de l’expérimentation, du concret. Cela peut être efficace sans s’avérer cher pour autant. Il faut oser aller dans l’innovation de « rupture » car c’est le moment d’entrevoir de nouveaux modèles sans forcément se poser mille questions. Sinon on pourrait, peut-être, voir notre business model mis à mal. Notre patron en est conscient. Il faut amener les collaborateurs à expérimenter leurs idées et aller chercher, en interne, ceux qui ont une vraie envie de faire évoluer les choses, les modèles. Pour cela, il est important de transmettre la culture de l’innovation en mettant les collaborateurs dans une posture de curiosité. Le principal problème aujourd’hui est leur manque de temps. Je provoque donc des rencontres en créant un événement, des conférences, pour motiver les gens à sortir du quotidien. Mais force est de constater que le court terme opérationnel a une emprise très forte sur notre capacité à ne pas regarder ce qui se passe autour de nous.

Comment fonctionnez-vous avec la direction générale du groupe ?

La direction générale réfléchit à la stratégie à dix ans avec des impulsions fortes. Je viens nourrir cette vision par le « faire ». Je montre que les collaborateurs veulent avancer, qu’ils sont courageux. Il y a toujours une prise de risque et les échecs sont nombreux avant de réussir. Je suis là pour faire engager des défis, des réflexions qui doivent mener à quelque chose. La plupart du temps, les projets prennent six, huit ou neuf mois avant de pouvoir émerger.

Vous avez démarré votre présentation au Fashion Tech Days en disant : « nous sommes 4 000 collaborateurs, faut-il (j’aimerais) en faire 4 000 entrepreneurs ? » C’est un véritable challenge !

Dans les entreprises de l’Association Familiale Mulliez, nous sommes dans une famille d’entrepreneurs et nous devons cultiver cet état d’esprit. Decathlon, par exemple, a intégré l’innovation dès sa création. Aujourd’hui, nous continuons à réfléchir, décliner, améliorer tous ces concepts car nous sommes persuadés que c’est en donnant à chacun la possibilité d’être créatif que l’entreprise va vers plus de performance et plus de pérennité. Notre défi consiste à faire de la créativité, parfois avec les mêmes jouets et les mêmes matériaux, en les revisitant. C’est possible, mais chacun doit sortir de sa chambre pour aller imaginer le monde !

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