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Le Fooding

Tendances FOOD

Interview d’Yves Nespoulous – Critique gastronomique pour le guide Fooding et le site Internet lefooding.com
4 août 2015

Yves Nespoulous décrypte les nouvelles tendances qui s’invitent dans nos assiettes. Entre hédonisme, souci du très bon produit et recherche de nouveautés, de quoi enchanter nos papilles !

En matière de gastronomie, quelles sont les grandes tendances que vous observez actuellement ?

Les gens ne mangent plus de la même manière qu’il y a vingt ans. Curieusement, le repas gastronomique sanctifié par l’Unesco, devant respecter un schéma bien arrêté, avec au moins quatre plats, une entrée, du poisson et/ou de la viande, des légumes, du fromage et un dessert, ne correspond plus à ce que proposent les restaurants. Même si, évidemment, on le retrouve lors de moments festifs, le dimanche, ou les jours de fête en famille. On a aussi longtemps constaté un décalage entre Paris et les autres grandes villes de France. Il y a, par exemple, moins d’adresses de restaurants excitants à Rennes que dans la rue du Faubourg-Poissonnière. Mais ce vent de renouveau gastronomique souffle désormais aussi en province. Et même si les adresses audacieuses s’y font encore un peu rares, on peuty constater, sinon une inversion de la tendance, du moins un véritable rebond. Notons que pour la première fois de l’histoire du Guide Fooding (dans la dernière édition) nous avions autant d’adresses parisiennes que d’adresses non parisiennes au sein du palmarès.

Comment consomme-t-on ?

Les gens picorent davantage, sont plus sensibles aux nouveautés. Dans les grandes villes, la séparation entre l’entrée, le plat principal et le dessert disparaît de plus en plus. Les restaurants créatifs et contemporains proposent une liste de mets, entre six et dix euros, permettant au client de goûter différentes petites assiettes. L’autre tendance est de mettre à la carte des grosses pièces à partager, une côte de bœuf, un poulet rôti fermier… Du côté des boissons, les cocktails s’invitent sur les tables depuis deux ou trois ans. Ce phénomène est dû à l’impulsion, notamment, d’Anglo-Saxons de Paris, dont la créativité se traduit par des boissons nouvelles, originales. Ce sont de véritables recettes. On peut en trouver chez Candelaria, Pasdeloup, au Beef Club, à L’Entrée des Artistes Pigalle, chez Hero… Dersou, par exemple, rassemble tout ce qui se fait de moderne : un décor brut sans superflu, des planches, du bois, du béton, un chef asiatique proposant des plats créatifs avec des cocktails. Cet art du mélange est très actuel. Certains lieux harmonisent leurs plats avec des cocktails, ce qui est assez compliqué puisque la boisson combine déjà cinq ou six ingrédients. Mais c’est intéressant car les sensations sont nouvelles. Ce mouvement est amusant, pétillant, surprenant, avec des choses qu’on n’a encore jamais goûtées. Il a d’ailleurs tendance à « ringardiser » quelque peu les bars à vin qui fleurissaient dans la Capitale il y a quelques années. Cette « néograstronomie » est souvent portée par des chefs étrangers. Paris est devenu un terrain d’expression pour des chefs japonais, notamment, qui pratiquent une gastronomie française de haut niveau, avec l’introduction de nouveaux ingrédients qui marquent leur singularité. Le métissage culinaire est stimulant. Les Anglais, Américains, Australiens, Scandinaves, Italiens, Sud-Américains… sont des gens avec lesquels il faut compter. Il y a une énergie nouvelle venue de l’extérieur qui redonne à Paris un rôle de premier plan dans la gastronomie. Qui aurait dit y a cinq ans qu’il y aurait une vague coréenne ?

Ces tendances ont quelle durée de vie ?

Elles sont plus éphémères que le traditionnel plat de viande ou la carte d’un Chartier, par exemple. Les chefs et les entrepreneurs à l’origine des nouveautés veulent vivre des expériences qui ne s’inscrivent pas forcément dans le long terme. Au sein de cette mouvance, on observe également le phénomène des « pop-up » : des cuisiniers investissent des lieux, le temps d’un été, sur une période temporaire comme à Arles, par exemple, au sein de l’hôtel Nord-Pinus. Autre exemple : dans le Luberon, la maison de famille d’Agnès Varda, située à Bonnieux, offre une expérience unique en devenant un espace de détente invitant à la création du 14 mai au 20 septembre 2015, avec des concerts, des lectures, notamment, tandis que les cuisines sont confiées à Armand Arnal, chef du restaurant La Chassagnette. On a là une notion festive, très hédoniste.

Qu’en est-il du déjeuner ?

Le midi, les gens consomment plus utilitaire. On veut manger vite mais pas n’importe quoi ! A Paris, nous avons très peu de food trucks pour des raisons structurelles (Paris n’est pas tentaculaire comme Los Angeles ou Mexico) et des raisons juridiques, même si la Mairie fait actuellement des efforts en délivrant plus d’autorisations. Généralement, ces points derestauration s’installent dans des zones pauvres en offres culinaires, près des bureaux. Du côté des burgers, PNY (Paris New York) propose, par exemple, des bons produits avec une décoration soignée. Il y a aussi Big Fernand, Blend, Le Camion qui fume, Cantine California… Autre vedette de la street food : le sandwich ; certains le travaillent avec du bon pain, de la charcuterie qui a du goût, des produits de qualité comme au Chéri Charlot, JBC ou l’une de nos adresses préférées : Chez Aline.

Les chefs sont-ils devenus des entrepreneurs ?

Effectivement. Une affaire est souvent l’œuvre de trois ou quatre associés. Des trentenaires. Le chef est associé au même titre que le sommelier, par exemple, qui est d’ailleurs de plus en plus régulièrement une femme. Auparavant, il y avait une nette séparation entre le « patron » et le chef. Les initiatives créatives peuvent être aussi portées par des jeunes qui sortent d’une école de commerce. Ils sont allés à New York, on perçu les tendances et vont ouvrir un « resto concept ». Pour certains, ça marche, pour d’autres, non. Car surfer sur la vague de l’air du temps n’est pas suffisant. Il faut du fond. Parmi les créations singulières, on remarquera The Beast : le propriétaire a fait venir un four des Etats-Unis pour fumer le bœuf au feu de bois comme ils le font dans le Texas, ce qui n’existait pas encore en France. Il propose son produit avec des bourbons du Kentucky. C’est bon, original et ça fonctionne.

Le bon produit retrouve ses lettres de noblesse ?

De plus en plus. Qu’il s’agisse du café (on revient à la torréfaction maison), du thé, du pain… On se penche sur toutes ces petites choses qu’on avait délaissées. Aujourd’hui, un restaurant qui ne propose pas un pain de qualité n’est pas crédible à mesyeux ni à ceux des clients ! Cette évolution répond à une demande de mieux vivre. Certains sont d’ailleurs prêts à y mettre le prix.

Quelle est la philosophie du guide Fooding ?

La marque Fooding est née de la contraction de « food » et « feeling » : nous sommes donc sensibles au fait qu’il se passe quelque chose à table, sur le plan émotionnel, dans l’assiette, avec le décor, le service. Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de l’œuvre d’un cuisinier. Il faut que tout marche ensemble, qu’on sorte du lieu fort d’une émotion particulière. On plaide pour une cuisine joyeuse. D’ailleurs, le Fooding a créé depuis quinze ans des événements inattendus à Londres, New York, Los Angeles, Bruxelles, Milan… Pour notre quinzième anniversaire, au mois de juin dernier, nous avons organisé « La revanche des faubourgs » au marché aux Puces Paul-Bert-Serpette, en invitant une trentaine de chefs issus de Brooklyn, Shoreditch, Saint-Gilles ou Ménilmontant… On pense, en effet, qu’aujourd’hui la révolution culinaire est « faubourgeoise » (à ne pas confondre avec « faubourienne »). Au Fooding, nous défendons l’aspect festif de la gastronomie. Amusons-nous, prenons du plaisir ! Si on ne s’amuse pas quand on mange, autant passer direct à l’âge des pilules nourrissantes et des perfusions.

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