Manecho

POC 21 – OuiShare

Open source versus propriété intellectuelle, quels usages pour demain ?

Interview de Benjamin Tincq, cofondateur de OuiShare et POC 21
10 octobre 2015

Dans le splendide domaine du château de Millemont, à une heure de Paris, c’est un camp d’une nature inédite qui a planté ses tentes pendant cinq semaines à la fin de l’été. L’idée ? Donner vie à des objets et solutions ultra écologiques qui ne connaissent pas la propriété intellectuelle puisqu’ils ont vocation à être partagés par le plus grand nombre. Un village de transition énergétique que nous raconte Benjamin Tincq

Quelle est la vocation de la POC 21 ?

Notre événement a eu pour but de démontrer comment des solutions innovantes issues des laboratoires de fabrication ouverts au public (Fab Lab) peuvent relever les enjeux de la transition énergétique. L’idée est d’encourager une nouvelle génération de produits durables en open source. On veut que les objets soient aboutis avec une réelle fonctionnalité.
Il s’agissait de réunir des pionniers qui, bien qu’organisés en communautés dynamiques, ne bénéficient pas d’un élan suffisant pour concrétiser leurs concepts en un projet prêt à être diffusé.
Nous avons donc mis un vaste espace à leur disposition afin qu’ils puissent, ensemble, en collaboration avec des mentors, des partenaires et les organisateurs avancer sur leurs solutions pour, in fine, les présenter au public.

Comment est née l’idée de ce vaste camp ?

D’une collaboration entre deux collectifs, OuiShare d’un côté, installé à Paris et de l’autre, Openstate situé en Allemagne. OuiShare, de forme associative, est une communauté, un accélérateur d’idées et de projets dédié à l’émergence de la société collaborative basée sur des principes d’ouverture, de confiance et de partage de la valeur. Nos activités recouvrent l’animation de communauté (événements locaux, groupes en ligne…), la production intellectuelle (études et recherche, publications, méthodologies…), l’incubation et l’accélération de projets collaboratifs avec des formations et un accompagnement pour des étudiants, des professionnels, des entreprises, des collectivités. OpenState est un collectif de designers critiques basé à Berlin. Il avait déjà initié un événement similaire outre-Rhin animé par une trentaine de personnes, mais sans la partie fabrication, prototype. Notre idée à été d’élargir le concept, en augmentant le nombre de participants, en sélectionnant des projets possédant déjà des prototypes. Notre concept prenant de l’ampleur, il a nécessité d’avoir sa propre structure et son propre fonctionnement avec un modèles économiques dédié… La POC 21 était née !

Qu’est-ce que l’open source ?

Historiquement, le concept vient du logiciel libre, du partage d’information en licence libre comme l’encyclopédie Wikipedia ou encore les contenus numériques partagés en Creative Commons (organisation à but non lucratif proposant une solution alternative légale aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle standards de leur pays, jugés trop restrictifs). L’open source désigne les solutions et les projets dans lesquels l’information – le code source – est partagé gratuitement sous licence libre, sous forme de fichier numérique. Aujourd’hui, cette philosophie s’applique aux biens matériels : on l’appelle « Open Hardware ». Ce courant est en plein essor avec l’expansion du mouvement des « makers » : bricoler n’est plus seulement un loisir mais devient une force économique au sein des Fab Labs. On partage l’information (plans, schémas, des tutoriels…) permettant de reproduire un objet ou un produit à l’identique. Chacun peut l’améliorer, l’adapter à ses besoins locaux, pour une diffusion maximale.

Qui étaient les participants ?

Sur près de deux cents candidatures reçues pour la POC 21, nous en avons rapidement sélectionné une centaine avec lesquelles nous avons conduit des interviews pour vérifier la pertinence de leurs propositions. Touten ayant une juste répartition dans les différentes catégories, l’énergie, l’habitat, l’alimentation, la mobilité, la communication et l’économie circulaire.
Nous avons retenu des personnes issues des quatre coins de la planète, ayant déjà fabriqué quelque chose. Il pouvait s’agit de PME, de jeunes start-up ou d’associations. Il y avait aussi des collectifs. Le degré de maturité variait selon les projets.
Il ne s’agissait pas de partir de zéro et d’une feuille blanche. Nous souhaitions aussi réunir des personnalités qui adhèrent à notre philosophie, notre projet global.
Compte tenu du fait que notre événement se déroulait sur cinq semaines non stop, il nous fallait des profils capables de vivre ensemble, ayant la fibre collaborative, avec un comportement mature. Nous avons également choisi les projets les plus prometteurs en open source, faisant preuve de créativité, d’innovation, tout en provenant des Fab Lab et makerspace.

Comment s’est déroulé cet événement ?

Nous nous sommes installés pendant cinq semaines sur le domaine du château de Millemont, dans les Yvelines, à une heure de Paris. C’est la première fois qu’un tel format est organisé en France autour de l’innovation. Nous avons capitalisé sur tous les intervenants (designer, ingénieur, communicants…) qui, ensemble, ont pu se dépasser tout en bâtissant des relations dans la durée. On a une communauté très forte. Autant de talents issus d’horizons divers, de pays différents, communiquant tous les jours sur plus d’un mois, équivaudrait à suivre des conférences pendant dix ans d’affilée !

Qu’avez-vous apporté aux équipes ?

Nous avons fourni aux douze groupes sélectionnés l’espace, le temps, les outils et les ressources ainsi que le support créatif comme l’expertise de pointe de mentors. Le but était de leur permettre de mener leurs projets au stade de développement supérieur pour se préparer à une diffusion de masse. En faisant en sorte que leurs produits et solutions aboutissent à un bon niveau de finition, de fonctionnalité et d’ergonomie, nous faciliterons leur appropriation par le grand public. Au total, une centaine de makers, designers, ingénieurs et innovateurs sociaux ont ainsi uni leurs forces autour de ces douze projets. Nous les avons aussi conseillés sur la meilleure structure juridique à adopter, ou la mise en oeuvre de leur stratégie, en terme de marque, de communication…

Qui étaient vos partenaires ?

Des fondations, des entreprises et quelques acteurs publics, sous la forme de mécénat, de soutiens financiers. Les entreprises ont participé de deux façons : financièrement mais aussi en nous fournissant des compétences, du matériel ou de l’expertise. Des collaborateurs de Kingfisher et de Castorama, par exemple, sont venus pour travailler avec les équipes dans le but de d’aider les participants à réaliser leurs calculs, leurs modélisations, entre autres. Cette implication a plus de valeur qu’un chèque !

Comment allez poursuivre votre aventure ?

Nous avons senti un intérêt marqué de la part des entreprises, des collectivités, des chercheurs, à travailler avec nous, sur les projets. On veut se servir de POC 21 comme un moyen de démocratiser l’idée de la fabrication distribuée, de l’open source et des Fab Labs. Nous réfléchissons aussi à améliorer le format, à continuer de l’appliquer sur cette thématique technologie open source et développement durable, mais sur des verticales comme l’énergie, laement travailler avec des fondations, des centres de recherches, de façon plus récurrente dans un espace permanent. Avec des saisons qui seraient des accélérateurs.
Dans un second temps, nous souhaitons aussi accompagner les projets dans la durée pour leur permettre d’aller au-delà de la phase prototype, dans une démarche d’industrialisation, de commercialisation… Nous réfléchissons à des nouveaux canaux de distribution, online, une plateforme donnant de la visibilité à ces projets pour qu’ils puissent trouver leurs marchés, leurs utilisateurs, leurs partenaires.
Parallèlement, nous allons diffuser du contenu multimédia, dont un catalogue présentant ces solutions et ces projets dans une maison, pour qu’on puisse se projeter en train de les utiliser.

©OuiShare